Quelques commentaires de contexte :
Sauf mention contraire, les vins ne sont pas dégustés à l’aveugle .
Nombre de dégustateurs : une quinzaine.
Cuvées haut de gamme, rares et prestigieuses. Pour des raisons de coût, le choix est limité à 6 bouteilles.
Notes : ST = Stephen Tanzer – RP = Robert Parker – WS = Wine Spectator – BD = Bettanne/Desseauve
Ordre de dégustation :
Salon 1988 : Note : PP17 – DS17 vers 17,5, LG17. Note moyenne : 17 vers 17,2
– Prix : 700 F – ST92+ – BD : 4 verres – WS94
100% chardonnay (blanc de blancs). Vraisemblablement dégorgé début 99.
Robe éclatante, brillante, d’un beau doré soutenu. Une bulle très fine offre un beau dégagement dans le verre.
Nez très subtil et complexe. Des notes mûres et intenses, extrêmement agréables, fines et élégantes. On décèle d’abord du fruit blanc (poire, pomme), de la brioche, du grillé, du toasté, de la vanille, de la mangue. L’aération complexifie le nez en libérant des notes de fruits secs (noix, noisette, amande), de caramel, de malt, de cacao.
La bouche est riche et grasse. Elle n’en reste pas moins savoureuse et fraîche, ample et assez longue, d’une grande jeunesse. La bulle est très discrète (c’est la plus discrète de toutes les cuvées bues ce soir). On a ici plus affaire à un champagne d’apéritif qu’à un champagne de repas.
2- Moet et Chandon Dom Pérignon 90 : PP16,5, DS16,5, LG16,5. Note moyenne : 16.5
– Prix : 784 F – ST93 – RP96 – BD : 5 verres
Pourtant réputée, cette cuvée est vraisemblablement la moins rare de cette dégustation de prestige (environ 1 million de bouteilles produites).
Robe dorée et brillante. La bulle est moins fine. Le dégagement gazeux plus désordonné, et plus rapide.
Nez complexe offrant de senteurs animales, de mirabelle, de beurre, de levure, de fruits rouges (le pinot noir entre dans l’assemblage), de champignon, de miel, de croûte de pain grillée.
La bouche reprend ces notes à son compte, soulignées par la griotte. Elle est logiquement plus vineuse (notes de fruits rouges), plus fougueuse (une agitation du verre atténue la présence un peu trop marquée de la bulle), plus puissante que la précédente. Longue, elle paraît toutefois moins grasse, moins ronde, moins suave et moins complète (malgré une grande richesse). On note une sensation tannique très légère de pinot noir. Le verre vide, persistant et subtil, évoque le noyau de cerise.
3- Taittinger Comtes de Champagne 90 : PP17,5, DS16, LG17,5. Note moyenne : 17.
– Prix : 525 F – RP96 – ST95 – BD : 5 verres – WS90
100% chardonnay.
La robe et le dégagement gazeux ressemblent à ceux du vin précédent.
Le nez est plus un nez de blanc de blancs. Il offre de très jolies notes de brioche, de torréfaction, de miel, de raisin sec, d’abricot, de crème bavaroise à l’abricot.
La bouche est longue, très bien équilibrée et offre des vagues successives d’arômes. On retrouve les notes décelées au nez, notamment l’abricot frais et sec, complétées par des notes de malt, de praliné. Sa minéralité notable, associée à des notes crayeuses, confère au vin une sensation légèrement plus sèche.
Cristal Roederer 90 : PP18 – DS17,5 vers 18, LG17,5 vers 18. Note moyenne : 17,7 vers 18
– Prix : 990 F – RP97 – BD : 5 verres
Une cuvée spéculative, particulièrement difficile à trouver aujourd’hui.
Belle robe brillante et dorée, pour une bulle fine. Le dégagement gazeux est ici aussi plus nerveux, plus rapide que dans le cas de Salon.
Le nez est vineux, avec des notes animales assez prononcées. Il est puissant mais fin, franc, précis, complet et complexe. Il allie des notes de café, et des notes presque évanescentes de miel qui rappellent le pollen.
La bouche est assez virile mais reste subtile. Elle déploie des notes de nougat à la pistache, de clafoutis (cerise crémeuse), de fruits secs. Elle est fougueuse (un dégustateur décrit cette sensation de surfer sur la bulle en milieu de bouche). Cette cuvée semble la plus vive, la plus jeune de la dégustation. On décèle un potentiel d’évolution notable qui pourra encore apporter une plus-value à ce vin d’attaque.
Bollinger vieilles vignes françaises 1990 : PP18,5, DS18, LG17,5. Note moyenne : 18.
– Prix : 1050 F
100% pinot noir. Blanc de noirs, ce qui est rarissime en champagne.
Robe ambrée, presque rosée.
Le nez s’attarde sur des notes complexes un peu confites de compote de pomme et de coing, de vanille, de miel, d’amande, de fruits exotiques. Il s’agit peut-être là du vin le plus complexe. Le pinot noir, qui intervient seule dans l’élaboration du vin, apporte des notes de fruits rouges marquées.
La bouche est sans surprise vineuse et surtout très longue (plus de 20 secondes). Elle signe un vin extra-terrestre, de repas. On décèle des notes complémentaires maltées, tourbeuses (on peut penser à un whisky d’Islay, ou encore à un armagnac), de caramel, de café, de cerise à l’eau de vie. De par son encépagement, c’est le vin le plus étrange de la série, plus corsé et généreux (et aussi plus alcoolisé) qu’élégant (on pense ici à la discrétion précise de Salon 88). Sa puissance est telle que c’est un champagne à part, incomparable.
6- Krug clos du Mesnil 89 : PP18,5 DS18,5, LG17,5. Note moyenne : 18,2
– Prix : 1500 F – WS94
100% chardonnay. A la manière des petites parcelles bourguignonnes d’un seul tenant, ce clos mythique produit moins de 10000 bouteilles par an.
Robe brillante et dorée, bulle fine.
Le nez semble surmuri, il dévoile des notes sures de fruit blet ainsi que des notes exotiques et de pruneau. Plus élégant que le précédent, on y décèle une légère volatile.
La bouche démontre elle aussi cette surmaturité, au travers notamment de belles notes exotiques (mangue). Quintessence de blanc de blancs, le vin est long et parfaitement équilibré. Il paraît confituré, un peu vineux, malgré l’absence de pinot noir. Un dégustateur pointe son côté chardonnay passerillé.
Conclusion :
Une dégustation de très haut niveau. Ces cuvées, dont l’élaboration fait l’objet de soins attentifs, sont éclatantes, équilibrées, complexes, et longues, parfaitement dosées. C’est une satisfaction par rapport à leur notoriété et à leur prix. On sait le rituel de la fête associé au champagne. Il est ici à son paroxysme. Seuls les prix sont en mesure de calmer l’euphorie de l’oenophile.
La hiérarchie est respectée : elles sont supérieures aux bonnes cuvées (Billecart-Salmon, Jacquesson, Ellner, …) et infiniment meilleures que la majorité des champagnes verts, acides et au dosage approximatif proposant une effervescence agressive peu engageante.
On aurait pu proposer à la confrontation une poignée de cuvées supplémentaires (Le Clos des Goisses de Philiponnat en tête).
On se méfie de l’interprétation de l’observation des dégagements gazeux, qui dépendent de la tribologie des verres.
Les senteurs et les saveurs sont délicates, complexes et fondues. Elles retiennent l’attention et rappellent la parfumerie. Merci à Robert Lala, vigneron et enseignant au Diplôme National d’Oenologie à Toulouse (analyse sensorielle) pour sa discrimination olfactive.
En bouche, les vins sont excellents, envoûtants, transcendants, jamais agressifs. Les crachoirs se sont avérés inutiles.
Pour une majorité de dégustateurs, les deux dernières cuvées paraissent encore supérieures aux précédentes, avec un supplément d’âme (en termes de longueur et de puissance).
Des vins prêts à boire, Cristal Roederer semblant afficher la plus grande longévité possible.