Découverte de l’autre grand cru piémontais
Barbaresco
Vendredi 6 avril 2018
La dégustation a été préparée et proposée par Maxime France
Commentaires de Philippe Ricard
Quelques commentaires de contexte
Régulièrement, nous confions à Maxime la responsabilité d’un montage ambitieux dans le vignoble transalpin. Passionné par l’Italie depuis quelques années, ayant même monté sa propre activité d’import de vins ultra sélectionnés (La Commedia del Vino), il nous offre l’accès à des dégustations exceptionnelles comme ont pu l’être dans un passé récent la découverte des domaines Burlotto, Giuseppe Mascarello ou encore Barbacarlo. Cette année, il a fait pour nous cette sélection de 25 bouteilles collectées directement sur place, soit dans les domaines concernés, soit chez des cavistes spécialisés.
Cette dégustation s’est déroulée comme d’habitude en deux séances : l’après-midi à 14h15 puis le soir à 19h30.
Les vins sont dégustés sans présentation à l’aveugle.
Les verres utilisés sont les ’’Expert’’ de Spiegelau.
Dégustateur l’après-midi : DS : Didier Sanchez – PR : Philippe Ricard – MF : Maxime France – CDC : Cécile Debroas Castaigns
Dégustateurs le soir : DS : Didier Sanchez – MF : Maxime France LG : Laurent Gibet – FM : François Martinez – MS : Miguel Sennoun
Barbaresco
Barbaresco, vignoble des Langhe, se situe au nord-est de Barolo.
Même cépage, forte proximité géographique, mais une superficie moitié moindre (500 ha), un vignoble plus bas et plus chaud que chez le célèbre voisin. Une composition des sols plus homogènes également, globalement marno-calcaires.
Une appellation restée longtemps dans l’ombre de Barolo, notamment pour des raisons sociales, les producteurs locaux n’ayant pas d’origines aristocratiques aussi prestigieuses… Il fallut ainsi attendre les années 60, les familles Gaja et Giacosa, pour que Barbaresco accède à un début d’ambition, 20 ans plus tard pour asseoir une relative renommée…
Pour les plus curieux, je ne peux que recommander la lecture archi-complète du vignoble faite par Nicolas Herbin sur le site Vin Terre Net (ici) : Barbaresco n’aura plus de secrets pour vous !
Millésimes présentés
2014 : millésime très modeste à Barolo, mieux réussi à Barbaresco
2013 : grand millésime, équilibré et structuré ; à attendre
2012 : millésime intermédiaire, frais, peu puissant mais avec de jolis vins
2011 : millésime solaire, très accessible, immédiat
2010 : millésime très structuré, de grande garde
2009 : millésime solaire
2008 : millésime frais, classique, joli
2007 : millésime intermédiaire, sans grande puissance mais à maturité aujourd’hui
2005 : millésime moyen aux yeux de la presse internationale mais qui se révèle avec surprise aujourd’hui
2003 : millésime caniculaire
Ordre de dégustation
(Nombre total de dégustateurs : 16)
A l’ouverture : DS13,5/14 – MF12 – PR13,5 – CDC13,5
Après 5 heures d’aération : MF14 – LG16 – MS15,5
Un des derniers millésimes de ce vigneron/caviste qui vient d’arrêter son activité…
Modeste, serré, révélé avec austérité sur des tonalités discrètes, fraîches, voire ligneuses (groseille, guigne, fleurs, rafles), un vin assez rustique mais sincère.
A l’ouverture : DS15 – MF15,5 – PR15,5 – CDC15
Après 5 heures d’aération : MF16,5 – LG16,5 – MS16
Pas encore dévoilé, jeune, mais bien en place : jus tonique (belle acidité du millésime, sur les agrumes), salivant, épicé, fin, précis, aux odeurs pures et gourmandes de cerise, fraise, framboise, fleurs d’oranger, avec une pointe de rouille qui rappelle le Haut-Piémont. Profil longiligne, élancé, persistant ; bien né.
A l’ouverture : DS14,5 – MF14,5 – PR14,5 – CDC14,5
Après 5 heures d’aération : MF14,5 – LG15 – MS14
Encore revêche, tannique, pas forcément flatteur mais sérieusement constitué, énergique, dans un registre très mûr, presque confituré, aux intonations lactiques, fumées, voire de café. Pas facile.
A l’ouverture : DS(12-16) – MF15 – PR(14) – CDC(15)
Après 5 heures d’aération : MF15 – LG(15) – MS(14,5)
Vin nettement plus ’’travaillé’’, œuvre œnologique de grande maitrise (finesse tactile, densité de matière, équilibre) qui signe un vin résolument ambitieux mais tout autant impersonnel, dominé par ses excès d’élevage (bois, crème, vanille, goudron, finale sèche) ; on s’éloigne bien inutilement du Piémont…
A l’ouverture : DS15 – MF15,5 – PR15,5+ – CDC15
Après 5 heures d’aération : MF16,5 – LG17 – MS17
Profil plus humble et épuré mais surtout plus ’’libre’’, direct, juteux, proche du fruit (orange, cerise, fraise, groseille, rose, menthol, épices), livré avec élan, droiture, non sans une touche de suavité. Sonne juste.
A l’ouverture : DS16 – MF16,5- PR16,5+ – CDC16
Après 5 heures d’aération : MF17,5 – LG17,5 – MS17,5
Même philosophie (beau classicisme) avec un surcroît de chair, un vin avec du volume, de la sensualité proposant une sève intense, sanguine (très légèrement organique), au fruit mûr et fier (cerise, prune, fraise, brugnon, noyau, réglisse, menthol).
A l’ouverture : DS15 – MF15,5 – PR15,5 – CDC15,5
Après 5 heures d’aération : MF15,5 – LG16 – MS15
Grande spontanéité et fraîcheur d’expression (cerise amarone, framboise, fraise, grenadine, rose intense, menthe, épices), vin ciselé, fin, sans guère de puissance ou d’allonge mais en élégance, précis et déjà offert.
A l’ouverture : DS15 – MF14,5 – PR15+ – CDC14,5
Après 5 heures d’aération : MF16,5 – LG17 – MS16,5
Un Barbaresco plus fourni et viril, compact, batailleur (alcool, acidité et tanins pas encore fondus), à la maturité assumée, presque VDN, à la fois jeune, impétueux mais aussi plus vieux que son âge (un peu cuit, vieux bois, Quinquina, cuir). Bien doté mais cherche encore son équilibre ; en tout cas à l’ouverture.
A l’ouverture : DS16,5 – MF17 – PR16,5/17 – CDC16,5
Après 5 heures d’aération : MF17,5/18- LG17,5 – MS17,5
Exercice d’un raffinement superlatif, tout en subtilité, velouté de texture, évidence d’équilibre, de fraîcheur, ravissement de parfums (cerise intense, fraise des bois, grenadine, orange sanguine, rose ancienne, fleur d’oranger, agrumes). Délicieux.
A l’ouverture : DS14,5 – MF15 – PR14 – CDC14,5
Après 5 heures d’aération : MF15 – LG(15) – MS15
Elevage plus intégré que le caricatural 2014 (café, toast, fumé, épices), un fruit plus dévoilé (cerise, fraise, écorce d’orange), toujours cette plastique impeccable, veloutée, aristocratique, mais pas d’éclat véritable, un vin fardé, linéaire, qui valorise davantage son géniteur que son terroir.
A l’ouverture : DSED – MFED – PRED – CDC1ED
Après 5 heures d’aération : MFED – LGED – MSED
Etriqué, métallique, sec, bousculé par la volatile, les notes de viandox… Barré…
A l’ouverture : DS14 – MF15 – PR14,5+ – CDC13,5
Après 5 heures d’aération : MF15 – LG(15) – MS14
Vin rigoureux, dense, un brin sévère (tannique), à la fraîcheur camphrée, aux fruits rouges volontaires, mais encore un peu brut, toujours contraint par son élevage (lacté, grillé).
A l’ouverture : DS16 – MF17 – PR17 – CDC16
Après 5 heures d’aération : MF16 – LG16 – MS16,5/17
Beaucoup de relief, de caractère, de franchise de goût, de nuances aromatiques (fumé, cerise, fraise, gelée de groseille, zeste d’oranges, rouille), un vin de structure, assuré, énergique proposant en même temps finesse et qualité de jus. Grand classicisme.
A l’ouverture : DS(14,5) – MF15,5 – PR(15) – CDC(15)
Après 5 heures d’aération : MF14,5 – LG(15,5) – MS(16)
Exercice plus fantasque, ultra mûr (pruneau, figue, crème de fruits, gelée de mûres), une signature du genre ’’nature’’, rustique, bataillant entre tanins, grosse acidité (volatile), richesse confiturée, arômes un peu décadents (soja, champignon, vieux bois)… Pour une clientèle avertie…
A l’ouverture : DS16 – MF17+ – PR17 – CDC17
Après 5 heures d’aération : MF17,5 – LG16,5/17 – MS17,5
Pureté, éclat, distinction, un vin qui pinote franchement, soyeux, délicat, salivant, intensément jeune et fruité (cerise, fraise, agrumes, brugnon). Beaucoup de classe !
A l’ouverture : DS16 – MF15,5 – PR16 – CDC16
Après 5 heures d’aération : MF16,5 – LG17 – MS17
Spontané, savoureux, un rien sauvage dans sa définition (impact acide, rigueur tannique), un vin sans artifices mais conduit avec cohérence, livrant un message de grande fraîcheur et précision malgré les excès du millésimes (floralité, groseille, guigne, menthol, épices).
A l’ouverture : DS(12) – MF14 – PR(13,5) – CDC(14)
Après 5 heures d’aération : MF13 – LG14 – MS(13)
Concentration, maturité, déferlement de vanille, coco, fruits lactés (yaourt) et de flatteries esthétiques : un vin ’’bimbo’’, travesti sans retenue pour coller à l’archétype apatride de l’œnologie à succès. Aussi impressionnant que difficilement buvable.
A l’ouverture : DS17,5 – MF17,5 – PR17,5 – CDC17
Après 5 heures d’aération : MF18 – LG17,5 – MS18
Du tranchant, de l’énergie, de l’élégance, un vin de grande précision, jaillissant, tonique, étonnamment encore assez simple, presque trop jeune (cerise, fraise, peau d’orange, pêche). Une transparence d’expression des plus excitantes, en plein contraste par rapport à l’échantillon précédent.
A l’ouverture : DS15,5 – MF16 – PR16 – CDC16
Après 5 heures d’aération : MF16 – LG16 – MS15,5/16
Pureté d’arômes (beaux fruits rouges, violette, Quinquina), harmonie en bouche, un vin sapide, offert, délié, à la fois gourmand et retenu, sans complexité majeure mais fort bien ajusté.
A l’ouverture : DS17 – MF17 – PR17,5 – CDC17
Après 5 heures d’aération : MF17,5 – LG18 – MS18
Grande élégance de parfums (rose, jolie trame ’’verte’’, fruits rouges frais, agrumes, nectarine), texture sensuelle, caressante, un vin profond, de forte intensité gustative, combinant à merveille raffinement tactile et intransigeance structurelle.
A l’ouverture : DS(14) – MF(12) – PR(13) – CDC13
Après 5 heures d’aération : MFED – LGED – MSED
Equilibre précaire à l’ouverture, un jus pourtant dynamique mais peu assuré, raidi, aux odeurs bizarres associant grande maturité, végétal, terre, vase, évolution (soja, cèpe).
Bien défectueux le soir.
A l’ouverture : DS15,5 – MF16 – PR15,5/16 – CDC15
Après 5 heures d’aération : MF16 – LG15 – MS15,5/16
Solaire (gelée de mûres, confiture de fruits rouges, Quinquina, cuir), rond, suave, copieux mais toujours construit, sans sécheresse ni manque de rythme, proposant un jus généreux mais digeste.
A l’ouverture : DS16 – MF16,5 – PR16,5/17 – CDC16,5
Après 5 heures d’aération : MF16,5 – LG16 – MS16,5
Matière vive, séveuse, aux odeurs encore juvéniles (fraise, cerise, zestes, floralité), une expression rafraîchissante (en cohérence avec le millésime), fuselée, traçante.
A l’ouverture : DS16,5 – MF17 – PR17 – CDC17
Après 5 heures d’aération : MF17 – LG16,5 – MS16,5
Charnel, plein, sanguin, style accompli, ample mais sans relâchement, diffusant des senteurs épanouies de fruits noirs, d’épices, de menthol, de camphre, de bois de rose.
A l’ouverture : DS(13,5) – MFED – PR(12) – CDC(13)
Après 5 heures d’aération : MFED – LGED – MSED
Métallique, rafleux, évolué, crispé, amer, un vin en ruade, difficilement déchiffrable à l’ouverture.
Confirmé en défaut le soir.
Conclusion
Comme on s’y attendait, la dégustation fut de haute volée.
Il faut dire que tous les ingrédients étaient réunis : un cépage à fort potentiel, une des plus belles région d’Italie et le talent de Maxime pour dénicher des beaux flacons…
On retrouve donc le nebbiolo piémontais à son meilleur, se jouant avec aisance d’intensités de saveurs souvent plus osées que dans l’hexagone (maturité, acidité, tanins), mais avec des équilibres irréprochables. On renifle avec bonheur ces variations aromatiques sur les fruits rouges, les agrumes, les pétales de fleurs, les épices, sans jamais pouvoir s’en lasser.
Pourtant, on perçoit quelques nuances avec le voisin Barolo : plus longiligne, plus délicat, Barbaresco semble jouer sur un registre de finesse, de pureté esthétique. Moins puissants, moins en volume, moins en rigueur structurelle également, ces vins semblent s’offrir plus rapidement, avec davantage de sensualité, de fraîcheur, de délié. On retrouve d’ailleurs plus facilement l’esprit gracile, rectiligne du nebbiolo haut-piémontais que la puissance, voire la virilité du Barolo…
Sans surprise, nos préférences vont vers des styles ’’classiques’’, des vins sans maquillage, épurés, digestes, des vins davantage ’’accompagnés’’ que ’’guidés’’ par leurs auteurs. Largement majoritaires dans cette sélection, peut-être le sont-ils également dans une appellation moins médiatisée que Barolo, donc moins sensible aux caprices des modes ?