Vendredi 4 avril 2025
Toutes les bouteilles, stockées pendant une longue période dans des conditions optimales, ont été placées dans une cave de service, à température adaptée, verticalement, 6 jours avant notre rendez-vous.
Cette dégustation s’est déroulée en deux séances : l’après-midi à 14h puis le soir à 19h30.
Ce compte-rendu détaille les impressions du soir.
Entre autres causes, une aération de 5 heures (dans la bouteille rebouchée en position verticale) peut expliquer les variations dans les appréciations.
Les vins sont dégustés sans présentation à l’aveugle.
Les verres utilisés sont les « Expert » de Spiegelau.
DS : Didier Sanchez – MF : Maxime France – HC : Hervé Cuzon – EA : Eric Ambiaud – GM : Gulnar Murat
(Nombre total de dégustateurs : 14)
A l’ouverture : DS14
Après 5 heures d’aération : DS14,5 – MF15 – HC15,5 – EA15 – GM15
Le nez exhale des senteurs à la fois fraîches et mûres évoquant la framboise et le poivre noir. En bouche le vin se montre frais, libre, la trame tannique est présente mais élégante et l’acidité propre au sangiovese confère à ce vin une très belle buvabilité.
Le soir uniquement : DS15,5 – MF16 – HC16 – EA16 – GM16
Le nez apparait très élégant, délicat, autour d’effluves suggérant la mûre, la cerise et la violette. La bouche est toute en élégance et en finesse, gracile, délicate, un sangiovese produit à 600m d’altitude au caractère “pinotant” charmant en diable!
A l’ouverture : DS16
Après 5 heures d’aération : DS16 – MF16,5 – HC16 – EA16 – GM16
Le vin se distingue par une robe rubis intense. Le nez s’exprime sur des notes de fruits rouges, de fleurs, d’épices et de terre. La bouche révèle un corps plein, des tanins bien intégrés et une acidité agréable, offrant un équilibre impeccable et une concentration intense. Un très beau vin, plein d’élan et de tension.
A l’ouverture : DS16,5
Après 5 heures d’aération : DS17 – MF17 – HC17 – EA16,5 – GM17
Ce millésime présente une robe rouge rubis intense avec des reflets grenats. Le nez est complexe, avec des notes de fruits mûrs évoquant tour à tour la cerise fraîche, la mûre mais il exprime également de très subtiles fragrances florales rappelant la violette. La bouche est très juteuse, suave avec des tanins au grain très élégant. Le vin présente une dynamique différente de celle de son cadet d’un an avec beaucoup de moelleux et de gourmandise dans sa chair. La finale se clos par un souffle épicé qui porte le vin avec beaucoup de distinction.
Le soir uniquement : DS15,5 – MF16 – HC16+ – EA15,5 – GM16
A ce stade le nez se montre discret, réduit, très peu disert. Des senteurs de fruits noirs, de pivoine s’expriment timidement mais nous ne sommes clairement pas face à une expression aromatique débridée! La bouche se montre très jeune, fermée à ce stade également. Le vin est doté d’une très belle finesse sous-jacente et d’une trame minérale racée mais il faut lui laisser du temps pour lui permettre de livrer tout son potentiel.
A l’ouverture : DS16,5/17
Après 5 heures d’aération : DS16,5 – MF16,5 – HC16,5 – EA16 – GM17
Le 2019 offre des arômes confits mais frais de cerise noire, de poivre et de chocolat noir, avec une touche rappelant le zeste d’orange et la pivoine. La bouche est juteuse, avec une acidité vive et des tanins mûrs et élégants, elle présente un grand naturel au sens noble du terme et une magnifique pureté de fruit.
A l’ouverture : DS13
Après 5 heures d’aération : DS14 – MF14 – HC14? – EA15 – GM15
Ce millésime présente une robe rubis intense. Le nez exprime ici un profil très différent, balsamique, moka avec une impression d’un vin à la fois boisé et réduit. En bouche le vin se montre raide, austère, serré, sec, les tanins fermes viennent durcir la finale d’une bouteille bien difficile à comprendre en l’état et qui ne se présentait pas sous son meilleur jour.
A l’ouverture : DS15,5
Après 5 heures d’aération : DS15,5 – MF15 – HC15 – EA15,5 – GM15
Le 2017 est marqué par des arômes de cerise noire, de terre, de feuilles mortes et une touche légèrement médicinale évoquant l’eucalyptus. La bouche présente un certain volume avec des tanins présents pour ce vin “terrien” de belle intensité qui termine cependant sur une sensation légèrement asséchante probablement dûe à une pointe d’acidité volatile.
A l’ouverture : DS17
Après 5 heures d’aération : DS17,5 – MF17,5 – HC17,5 – EA17 – GM18
Ce millésime offre une expression plus florale du plus bel effet, avec des notes de rose et de violette, accompagnées de fruits rouges frais tels que la cerise burlat et épicées rappelant le poivre noir. La bouche est élégante, suave, avec une acidité vive et des tanins fins qui se structurent autour d’intenses saveurs suggérant le poivre et le tabac. Ce millésime signe un vin très profond et d’une grande longueur qui commence à peine à évoluer mais pour lequel on imagine sans problème un avenir serein.
A l’ouverture : DS16,5
Après 5 heures d’aération : DS16,5 – MF16,5 – HC16,5 – EA16,5 – GM17
Le 2015 se distingue par une richesse aromatique, s’articulant autour de fragrances évoquant tour à tour le sous-bois, le tabac, les épices avec également un côté viandé, sanguin. La bouche est dense, de belle structure termiant sur une finale solaire avec une présence d’alcool sensible. La palette de saveurs fait elle aussi la part belle au côté solaire du millésime avec des notes de figue, de viande fumée, de gibier et une évolution tertiaire plus avancée.
A l’ouverture : DS13,5
Après 5 heures d’aération : DS15 – MF15,5 – HC15,5 – EA16 – GM16,5
Ce millésime présente une robe rubis clair. Le nez est délicat, avec des notes de violette, de cerise et une touche d’épices douces. La bouche est à l’unisson : fraîche, avec une acidité bien présente et des tanins souples. Le vin montre un profil élancé, gracile, il n’est pas un monstre de puissance mais dévoile une certaine élégance formelle.
Le soir uniquement : DS14 – MF14 – HC15 – EA14 – GM15
Le nez apparaît très mûr, avec des senteurs rôties, animales, commençant à flirter avec la sauce soja. La bouche présente une matière imposante structurée autour de tanins très présents et d’une acidité volatile notable. Les saveurs sont très animales, sauvages et si la matière a quelque chose à dire dans un style extrême, l’aromatique n’est pas charmeuse à ce stade.
A l’ouverture : DS15
Après 5 heures d’aération : DS16 – MF16,5 – HC16,5 – EA16,5 – GM16,5
Le 2013 est caractérisé par des arômes de cuir, de tabac et de fruits noirs mûrs et de réglisse. La structure est pleine, avec une belle complexité et une finale persistante autour de tanins qui commencent à se patiner. Le vin se montre équilibré, intense et livre ici une expression du sangiovese toute en profondeur. Une très belle réussite qui fera de ce vin un magnifique compagnon de table sur des gibiers en sauce ou des viandes grillées.
A l’ouverture : DS14
Après 5 heures d’aération : DS15 – MF15,5 – HC15 – EA15,5 – GM15
Ce millésime offre une expression plus minérale, avec des arômes de graphite, de terre mais aussi de cerise, de poivre noir ainsi qu’une pointe de caramel. La bouche est fraîche, de demi-corps, avec des tanins fins et un certain raffinement de goûts rappelant le poivre frais, le tabac, les feuilles mortes. Je l’imaginerais bien accompagner le typique antipasto toscan les “crostini toscani” à base d’une crème de foies de volailles à la sauge.
A l’ouverture : DS(15)
Après 5 heures d’aération : DS16 – MF16,5 – HC16,5 – EA15,5 – GM17
Ce millésime présente une robe grenat profond. Le nez est complexe, solaire, mêlant des arômes de fruits noirs mûrs, de cuir, de sous-bois, de viande, de goudron. En bouche, le vin est structuré autour de solides tanins gras, il est puissant, dense, juteux, sanguin et s’il commence à évoluer vers des notes plus tertiaires. Il escortera parfaitement un plat de sanglier par exemple comme la spécialité de la Maremma (région côtière de la Toscane) “Il cinghiale alla Maremmana” (sorte de civet de sanglier).
L’idée d’avoir un aperçu sur une douzaine de millésimes du caractère et de l’évolution d’un domaine devenu iconique dans le paysage du vin transalpin était un projet qui me tenait à cœur depuis longtemps. Podere Le Boncie apparaît aujourd’hui comme une sorte de symbole de la viticulture Toscane.
En effet, durant de nombreuses années, sous couvert de « modernité » ou, plus certainement, de recherche de nouveaux débouchés commerciaux, de nombreux domaines du Chianti Classico se sont tournés vers les cépages internationaux s’engouffrant dans la mode des « Supers Toscans ».
Face à ce mouvement, certaines « aziende » convaincues de la grandeur et de l’importance historique du Sangiovese ont refusé de céder aux sirènes de cette forme de mondialisation. Parmi elles l’Azienda Podere Le Boncie, avec à sa tête sa charismatique propriétaire Giovanna Morganti, est apparue comme l’un des fers de lance de la défense de cet historique patrimoine ampélographique et, à travers lui, d’une partie de l’âme Toscane.
A l’heure ou l’appellation signe un véritable retour en force sur le devant de la scène vinique italienne, force est de constater que celui-ci coïncide avec l’affirmation nouvelle mais puissante du Sangiovese comme Roi incontesté de la Toscane viticole. Giovanna avait donc vu juste (Montevertine et d’autres aussi avec elle), et parfois être moderne c’est comprendre et savoir protéger ce qui a fait notre histoire. Il ne s’agit pas, en l’espèce, d’un positionnement réactionnaire mais au contraire d’une analyse fine, logique, de l’adéquation ancestrale entre un (des) cépage(s), un territoire, un climat et des hommes et de tenter de préserver cet équilibre comme on le ferait pour quelque chose de fragile et précieux, un monument ou une œuvre d’art…Dès lors être moderne c’est savoir penser le temps long et comprendre finement les forces et les faiblesses, les atouts et les richesses d’un territoire.
Et les vins me direz-vous ?!! Les vins s’inscrivent pleinement dans cette réflexion, à la fois profonde et instinctive. Ils sont vivants, intenses, ils ont du caractère, parfois joyeux et parfois tourmentés, une forte personnalité qui parfois rassemble et parfois divise… Leur niveau qualitatif est globalement très intéressant avec des expressions qui sont toujours des témoignages fidèles de la vérité de l’année. Ce tour d’horizon en onze millésimes de la cuvée emblématique du domaine : « Le Trame » (90% sangiovese + Mammolo et Foglia Tonda) a permis de donner des indications passionnantes. Nous n’oublierons pas non plus la cuvée Il Cinque 2022 (Sangiovese + Mammolo), sincère, directe, juteuse, une belle réussite ainsi que les quelques vins “pirates” qui, sans apparaître comme des faire-valoir, ont contribué à mettre en perspective ce domaine passionnant.
La trilogie 2019, 2020, 2021 livre des vins au fort potentiel, équilibrés, tendus, vibrants. Les millésimes 2017 et 2018 sont les plus compliqués de la série avec un 2017 présentant presque un début de vieillissement prématuré et un 2018 un peu terne et sec. 2014 et 2012 sont des vins de demi-corps, à la puissance contenue mais dotés d’une fraîcheur, d’une légèreté et d’une élégance qui les rendent tout à fait charmants. 2015 et 2013 sont, en contrepoint avec leurs aînés respectifs d’un an, marqués par le soleil, la puissance rôtie du Sangiovese propre à cette partie sud de l’appellation, ils commencent à évoluer et sont d’ores et déjà de magnifiques compagnons de nourriture. Enfin 2016 et 2010 sont deux grands millésimes en pleine force de l’âge, à la fois élégants et racés mais aussi puissants et intenses, par leur équilibre, leur puissance et leur classe ils pourraient nous envoyer encore plus au sud du côté de Montalcino. Il faut souligner et insister sur le fait que ces vins sont des vins de nourriture, ils doivent être bus, à table, en accompagnement de mets adaptés, ils prendront alors toute leur dimension et exprimeront l’intégralité de leur personnalité et de leur profondeur.
Pour finir et être tout à fait franc avec le lecteur, je dois dire que j’ai pour ce domaine une affection toute particulière, une affection “ancienne” qui pourrait venir brouiller une forme d’objectivité. Mais l’objectivité totale est-elle possible lorsque l’on parle de ressentis, d’émotions, de sentiments, autant d’éléments qui permettent, à mon sens, de rentrer en « conversation » avec le vin au-delà de l’analyse pure et de lui accorder les égards qu’il mérite. Cette « subjectivité » revendiquée ne serait-elle pas, elle-aussi, comme un plat juste ou une agréable compagnie, pleinement constitutive du plaisir que l’on prend à côtoyer le vin, à le comprendre et à l’aimer ?