Une dégustation particulièrement intéressante et joyeuse de cuvées liquoreuses du Languedoc, rarement rassemblées et goûtées côte à côte. Les expressions sont très variées, parfois surprenantes mais toujours dignes d’intérêt. Malgré une longue tradition régionale, la production reste souvent confidentielle. Le compte rendu est disponible sur le lien suivant:
Les liquoreux du Languedoc
Vendredi 01 avril 2005
Dégustation préparée par Pierre Citerne et commentée par Jacques Prandi.
Quelques commentaires de contexte :
Les vins ne sont pas dégustés à l’aveugle.
Nombre de dégustateurs : Douze.
Tout ce qui est entre parenthèse n’apparaît pas sur l’étiquette. Nous avons noté que beaucoup d’étiquetages sont en infraction avec la loi…
DS : Didier Sanchez – MS : Miguel Sennoun – PC : Pierre Citerne – JP: Jacques Prandi
Ordre de dégustation :
Vins blancs :
1. VDT : Hautes Terres de Comberousse « Djebel » Vendemias de Paserillas 2000 (Rolle passerillé, élevée trois ans sous voile) :
DS15,5/16 – MS14,5 – PC15,5 – JP15. Note moyenne du groupe : 15,5 – Prix : 13 €. Bouteille en 50 cl.
Robe bronze, avec un gros dépôt et de nombreux voltigeurs.
Le nez est intense, on trouve la figue sèche et la pomme, une certaine oxydation signée par la noix, mais aussi du cumin et du champignon, un nez très agréable et complexe.
La bouche est fraîche, très marquée aussi par la noix verte et l’oxydation, la liqueur est moyenne et bien intégrée, le vin est de longueur moyenne, il finit assez court. Un vin intéressant avec beaucoup de personnalité, dommage que la bouche ne tienne pas toutes les promesses du nez !
2. VDP d’Oc doux : Domaine de Barroubio « Grain d’Automne » 2001 (muscat) :
DS14,5/15 – MS15 – PC14,5 – JP15. Note moyenne du groupe : 15 – Prix : 14 €. Bouteille en 50 cl.
La robe est plus classique, jaune paille, jeune avec des reflets verts.
Le nez est très typé muscat, raisin frais, épices, une trace de végétal, il fait penser à un muscat sec du Roussillon.
On retrouve ces caractéristiques en bouche, rose, angélique et un fruit très pur. Le vin est plus long et mieux équilibré que le précédent, il est aussi très frais. Un vin parfaitement dessiné et pur mais qui reste cantonné, dans son expression actuelle, aux arômes variétaux du muscat.
3. Aucune appellation : Domaine Lacoste « Muscat » Moûts de raisins partiellement fermentés issu de raisins passerillés 1992 (Lunel) :
DS16/16,5 – MS16 – PC16 – JP16. Note moyenne du groupe : 16 – Prix : 14 €. Bouteille en 75 cl.
Une superbe robe d’un vieux bronze brillant !
Le nez est sur la pomme cuite et le caramel, rehaussé de parfums plus pointus de thym et de lavande, contrairement au précédent, rien ne fait penser directement au cépage.
La bouche est concentrée et présente une grosse liqueur, la pomme se fait dominante et certains trouvent une petite trace d’oxydation. Le vin est long et la finale fraîche et très persistante. Une belle réussite qui démontre l’intérêt du vieillissement du muscat sur l’expression aromatique qui s’est dégagé de la gangue variétale un peu simple pour gagner en complexité.
4. VDT de France : Monastère de Solan « Saint Jean Bouche d’Or »Agriculture biologique NM (clairette passerillée 6 hectos/hectare) :
DS15 – MS15 – PC14,5 – JP15. Note moyenne du groupe : 15 – Prix : 35 €. Bouteille en 50 cl.
La robe est franchement acajou, brillante, elle fait penser à un cognac ambré.
Le changement de cépage est particulièrement net au nez, l’acidité volatile est marquée, elle soutient des arômes plus pharmaceutiques, camphre, menthe, avec une pointe de chocolat blanc.
En bouche, on retrouve une liqueur importante mais soutenue par une acidité très marquée qui maintient un bon équilibre. La concentration fait penser à une élaboration type vin de paille pour un vin qui reste assez monolithique.
5. Clairette du Languedoc : Domaine de Clovallon « Rancio » 1995 :
DS14,5 – MS14,5 – PC16 – JP15,5. Note moyenne du groupe : 15 – Prix : 20 €. Bouteille en 50 cl.
La robe est bronze avec des reflets verts.
Beaucoup de complexité au nez, miel, sucre d’orge, pomme cuite, accompagnés de thé vert et de camphre. C’est joli, fin et complexe.
Encore une grosse liqueur mais avec plus de gras que le vin précédent, la finale reste fraîche. On ne retrouve pas, ni au nez, ni en bouche, de trace flagrante de l’élevage oxydatif revendiqué pour cette cuvée.
6. Aucune appellation : Mas Jullien « Clairette Beudelle » Moûts de raisins partiellement fermentés issus de raisins passerillés 2000 :
DS13,5 – MS15 – PC16 – JP14,5. Note moyenne du groupe : 15 – Prix : 24 €. Bouteille en 50 cl.
La robe est orangée avec des reflets acajou.
Le nez est sur les fruits confits, le citron confit et le caramel, assez monolithique mais frais.
Le vin est très riche, presque sirupeux, sur la pomme cuite. Il reste très jeune et peu expressif aromatiquement, la grosse liqueur le fait paraître un peu lourd. La concentration et la renommée du domaine laissent entrevoir un bel avenir, mais le vin est dans une phase ingrate, fermé.
7. VDT de France : Domaine de Clovallon « Grains de Folie » (Petit Manseng 1998) :
DS13,5 – MS13,5 – PC13 – JP14. Note moyenne du groupe : 13,5 – Prix : 20 €. Bouteille en 50 cl.
La robe est beaucoup plus claire, jaune doré.
Au nez, on trouve des fruits rouges, de la fraise, de la rhubarbe et de jolies nuances végétales (angélique), c’est agréable et frais. Encore une fois, le changement de cépage est net.
La bouche est bien plus vive, avec des notes végétales, du citron et du pamplemousse qui signe une petite amertume. La matière reste moyennement concentrée et certains trouvent aussi un peu d’oxydation. Le vin est réussi et très buvable, dans un style plus léger et simple.
8. Aucune appellation : Domaine Belles Pierres « Passidore » Moûts partiellement fermentés issus de vendanges passerillées Vendanges du 5 et 23 novembre 1997 (Petit Manseng):
DS15 – MS15 – PC15,5 – JP15,5. Note moyenne du groupe : 15,5 – Prix : 29 €. Bouteille en 75 cl.
La robe reste claire, paille avec des reflets verts
Le nez emmène tout de suite vers Jurançon, de la nèfle, la truffe blanche et une pointe terreuse. C’est beau et frais.
La bouche confirme les arômes du nez, le vin est riche, avec des agrumes, une acidité marquée et un bel équilibre. Une belle expression du petit manseng, inattendue en Languedoc et un piège absolu pour une dégustation à l’aveugle….
9. Aucune appellation : Domaine de Clovallon – « Vin de Glace » Moûts partiellement fermentés issus de vendanges passerillées 1996 (Petit Manseng) :
DS16,5 – MS17 – PC16 – JP16,5. Note moyenne du groupe : 16,5 – Prix : 41 €. Bouteille en 50 cl.
On retrouve une robe foncée, bronze avec des reflets verts.
Intensité et complexité au nez : de la pomme verte, des fruits exotiques (mangue, fruits de la passion) et une trace d’oxydation (noix verte) qui complexifie le tout, c’est superbe et profond.
La bouche tient les promesses du nez, une corbeille de fruits, pomme, ananas, mangue, soutenue par une belle acidité citronnée. Le vin présente une grosse matière, bien équilibrée avec un toucher presque tannique. Un très beau vin pour une récolte vraiment exceptionnelle, il s’agit d’un vin de glace naturel, récolté à -10°C en novembre 96.
10. – Aucune appellation : Domaine de L’Aigle cuvée collection « Vendanges de novembre »VT Chenin 1997 :
DS13 – MS13 – PC13,5 – JP13. Note moyenne du groupe : 13 – Prix : 14 €. Bouteille en 50 cl.
Toujours une teinte bronze à reflets verts.
Beaucoup de pomme cuite (très cuite) au nez, avec des nuances de marc et de thym.
La bouche n’est pas parfaitement nette avec des arômes de pomme blette. La liqueur est imposante mais un petit défaut d’acidité rend la bouche un peu molle. On sent un peu de chaleur alcoolique en finale. Une expression assez peu convaincante, la concentration est là, mais la maturité semble excessive et l’équilibre fait défaut.
11. VDT de France : Domaine de Fontcaude – « Le Villard » 1999 (Chenin) :
DS15 – MS15 – PC15 – JP15,5/16. Note moyenne du groupe : 15 – Prix : 39 €. Bouteille en 50 cl.
Une belle robe acajou.
Le nez est puissant, caramel, marc de raisin, coing, cire. L’acidité volatile est sensible et l’alcool ressort un peu.
On retrouve un vin puissant en bouche avec une grosse matière, peu expressive aromatiquement (coing, cire) mais qui montre un équilibre intéressant, l’acidité est bien là. En l’état, et un peu comme la cuvée du Mas Jullien, le vin ne se livre pas beaucoup actuellement mais semble prometteur dans l’avenir.
Vins rouges :
12. Aucune appellation : Domaine Canet-Valette – « Galéjades » Moûts de raisins partiellement fermentés issus de raisins passerillés (Carignan 1999) :
DS14,5/15 – MS12,5 – PC15,5 – JP14. Note moyenne du groupe : 14,5 – Prix : 28 €. Bouteille en 50 cl.
Robe très sombre, mais présentant quelques reflets d’évolution sur le disque.
Nez violent, tourbé, fumé, animal, puissant.
La bouche est tout aussi puissante et violente, avec du goudron, de la suie, de l’animal, mais aussi des belles nuances de tabac. On sent très peu de sucre en bouche. Une expérience unique de la « sauvagerie » que peut atteindre le carignan dans une expression extrême, très intéressant à goûter, mais difficile à juger.
13. Aucune appellation : Domaine Canet-Valette – « Galéjades » Moûts de raisins partiellement fermentés issus de raisins passerillés (Grenache 2001) :
DS14 – MS14 – PC14 – JP14,5. Note moyenne du groupe : 14 – Prix : 28 €. Bouteille en 50 cl.
Robe complètement évoluée, assez peu profonde et mate.
Le nez est ouvert, sur les fruits compotés (fraise, pruneau, cerises à l’eau de vie), caramel, cacao, une pointe de champignon et quelques senteurs vinaigrées gênantes.
Le sucre est très présent en bouche avec des fraises cuites et du pruneau. On sent un beau toucher et la finale est fraîche, malgré tout, le vin ne convainc pas totalement.
14. Vin de table français : Domaine Grand Lauze – « L’Archaïque » Moûts de raisins partiellement fermentés issu de raisins passerillés (Mourvèdre 2001) :
DS14,5 – MS15,5 – PC15 – JP15,5. Note moyenne du groupe : 15 – Prix : 19 €. Bouteille en 50 cl.
La robe est très sombre, presque noire et opaque.
Puissance et complexité au nez, encre, fumé, cuir, animal mais aussi beaucoup de fruits noirs, du cacao et une pointe d’iode (signature du cépage ?). Le nez est agréable et frais.
On trouve une belle matière en bouche, avec une dominante sur les fruits noirs. La structure tannique est cette fois bien perceptible, soutenue par une grande fraîcheur. Bel équilibre pour ce vin, beaucoup plus « civilisé » et accessible que les précédents.
15. VDT de France : Domaine Henry – « Passerillé »Moûts de raisin partiellement fermentés 2000 (Grenache) :
DS16,5/17 – MS17/17,5 – PC16,5/17 – JP17. Note moyenne du groupe : 16,5/17 – Prix : 39 €. Bouteille en 50 cl.
Robe très foncée, avec des reflets bleu-noir, jeune.
Nez puissant sur les fruits, cerise noire, cassis, liqueur de mûre. C’est profond et envoûtant.
La concentration en bouche est énorme, grosse densité sur un fruit intense, les tannins, bien présents sont fins et le vin reste très équilibré malgré sa concentration. Une très belle bouteille.
Conclusion :
Une dégustation particulièrement intéressante et joyeuse de cuvées liquoreuses du Languedoc, rarement rassemblées et goûtées côte à côte. Les expressions sont très variées, parfois surprenantes mais toujours dignes d’intérêt. Malgré une longue tradition régionale, la production reste souvent confidentielle.
La grande variété de cépages, de terroirs et de millésimes rend difficile une comparaison directe entre les vins, mais le niveau d’ensemble est bon. Ces vins ont bien plus d’intérêt que la simple découverte de cuvées extrêmes (rendues possibles par les concentrations et maturités exceptionnelles accessibles dans la région) produites par des vignerons « aventureux » ou « jusqu’au boutistes ». Si certains de ces vins sont de vrais exercices de style, il reste que, dans leur grande majorité, ils sont équilibrés, trouveraient sans problème leur place à table et sont avant tout buvables avec plaisir, ce qui n’est pas toujours le cas des rouges.
Les cépages traditionnels du sud de la France, clairette, petit manseng, muscat et grenache sont les plus utilisés, mais d’autres cépages plus inhabituels, dans la région ou dans ce type de vinification, peuvent conduire à des belles cuvées.
Parmi les plus grandes réussites, citons le vin de glace de Clovallon et le grenache passerillé du domaine Henry. Deux autres vins, la « clairette Beudelle » du Mas Jullien et « Le Villard » du domaine Font-Caude offriront certainement de belles surprises au vieillissement.
Même si ce n’est pas une surprise totale, les capacités de vieillissement de muscats bien nés sont remarquables, la variétalité un peu simple du cépage disparaît alors pour dévoiler une complexité insoupçonnée.